Autour de ce tableau, existe une anecdote qui a fait à l’époque couler beaucoup d’encre.
Roland Dorgelès, écrivain et Président de l’Académie Goncourt, organise avec ses amis du Lapin Agile, un cabaret montmartrois, un canular en présence d’un huissier afin d’exposer au Salon des Indépendants une œuvre intitulée « Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique », prétendument peinte par un peintre italien, jusqu’alors inconnu : Joachim-Raphael Boronali. Pour corser leur farce, les auteurs lancent un manifeste en faveur de « l’excessivisme », nouvelle école fondée par maître Boronali.
Cette toile a en réalité été peinte par un âne, ainsi que l’établit le constat d’huissier : « En ma présence, des peintures de couleur bleue, verte, jaune et rouge ont été délayées et le pinceau fut attaché à l’extrémité caudale d’un âne appartenant aux propriétaires du Lapin Agile et prêté pour la circonstance. J’ai constaté que cette toile présentait alors des tons divers passant du bleu au vert et du jaune au rouge, sans avoir aucun ensemble et ne ressemblant à rien. Après ce travail terminé les photographies furent prises, j’ai dressé le présent procès-verbal pour servir de valoir
ce que de droit ».
Cette mystification a eu lieu devant le Lapin Agile. Lolo barbouilla une toile, placée près de sa croupe, pendant que Frédé, son propriétaire, lui offrait des gâteries, carottes et même des feuilles de tabac, pour accélérer le mouvement caudal.
On s’exclamait des moindres coups de queue d’Aliboron. Une fois l’âne fatigué de cet exercice, le tableau fut signé J-R Boronali, anagramme d’Aliboron, l’âne des fables de la Fontaine.
Vie d’un âne à Gagny
Qui sait que Lolo alias Boronali, avant d’être artiste malgré lui et d’être Montmartrois, a sillonné les rues de Gagny pendant de longues années. En effet, trente ans plus tôt, après la mort de son mari, sa propriétaire Louise Gérard née Moissié, vint habiter à Gagny avec ses deux fils : Frédéric et Edmond. Ils s’installèrent au 1 rue Raffin, dans le bâtiment qui est actuellement une boulangerie, à l’angle de la rue Jean Jaurès et la rue Raffin. Sur la façade côté rue Raffin, une grande fresque était peinte, figurant la création du monde : une ribambelle de bébés joufflus sortant d’une plate-bande de choux. Frédéric l’avait peinte pour rappeler le métier de sa mère. Lolo tirait la carriole de sa maîtresse qui se rendait chez les femmes prêtes à accoucher ou pour aller au lavoir.
Lorsque Frédé s’est installé à Montmartre, Lolo le suivit et tirait la carriole pour aller aux halles acheter des poissons que Frédé revendait dans les rues de Montmartre. Frédé vit peu à peu disparaître le vieux Montmartre et pousser les immeubles qui remplacèrent les cabanes du Maquis. La santé de Lolo s’étant dégradée, il a de plus en plus de difficultés à gravir les rues en pente, Frédé décide alors de se retirer à Saint-Cyr sur Morin, dans sa maison des Armenats.
Au cours de ses vagabondages, Lolo tombe dans le petit Morin et se noie ; certains racontent qu’il aurait voulu retrouver une ânesse sur l’autre rive, d’autres diront que, dépressif d’avoir quitté la vie de bohème montmartroise, il s’est suicidé : ce qui est sûr, c’est qu’il est enterré dans la propriété de Frédé aux Armenats.